Pour une e-Souveraineté sanitaire !

En à peine deux ans, le numérique a marqué une accélération, qui aurait certainement pris beaucoup plus de temps sans l’apparition de l’épidémie. Remontez quelques mois en arrière et rappelez-vous la façon dont vous accédiez à un médecin. La transformation est radicale pour les patients et les professionnels de santé, elle l'est encore plus pour les Etats.

Publié le 20 décembre 2021 à 04h51

A l’heure du bilan, l’Europe constate que l’étau s’est resserré davantage avec à l’est la Chine et à l’ouest les Etats-Unis. L’ère qui s’ouvre est initiée par ce duopole sinoaméricain mené par leurs fameux GAFAM et BATX. Cette situation géopolitique pose la question du renforcement de l’impact et de la souveraineté européenne 

Si l'épidémie a précipité cette mutation, elle a aussi accéléré les décisions européennes en faveur de la souveraineté numérique et sanitaire de l’UE. Pour aborder ce sujet avec sérieux, nous avons souhaité faire appel à une personne aussi avertie des sujets économiques que géopolitiques, liés à la santé, avec une affinité forte pour le numérique. C'est pourquoi nous avons échangé avec la Directrice des affaires publiques et gouvernementales de Sanofi, Clotilde Jolivet.

 

Le numérique au cœur de la transformation de l’Europe

 

La crise a fait prendre conscience, au plus grand nombre, de l’importance de se doter d’un bon niveau d’autonomie sur des produits essentiels et innovants, qu'il s’agisse de médicaments ou de technologies, enjeu que le secteur des industries de santé portait depuis des années. Dans les deux cas, le numérique occupe une place centrale, puisqu’il transforme l’ensemble de notre industrie. Cette quête c’est celle de la e-souveraineté sanitaire. La e-santé va prendre une place de plus en plus centrale dans l’offre de soin, comme dans l’organisation du système de santé. Offres, organisation et mise au point des traitements doivent être pensés à l’échelle Européenne, sous peine de ne pouvoir instaurer notre propre souveraineté.

 

Cet objectif est vital, non seulement pour la production de biens, mais aussi pour la création de valeur à court, moyen et long terme. Il s’agit bien d’une reconquête, puisque nous avons trop rapidement laissé ce sujet entre les mains d’autres plaques géographiques. Le numérique n’est qu’à ses prémisses et pourrait bien être notre meilleur allié dans cette reconquête.

Il nous faut passer rapidement de l’aspiration à l’opération, et s’organiser à l’échelle européenne avec une feuille de route claire et facilement déployable.

 

 

La donnée de santé moteur de la e-souveraineté

 

A l'ouest comme à l'est, l'idéologie est relativement différente de celle de l'Europe. L’Union Européenne, troisième puissance économique mondiale, peine pourtant encore à se positionner comme instigateur et fédérateur d’une e-santé européenne. Notamment, parce qu'il existe toujours d’importantes disparités entre les Etats membres.

Le numérique est créateur de valeur et une opportunité de croissance économique, de création d’emplois et d’attraction des investisseurs comme des talents.

 

Face à la tentation de se tourner vers les solutions émanant d'Amérique du Nord ou de Chine, l’Europe doit se donner les  moyens de créer de vraies conditions pour un déploiement et une utilisation massive des données de santé, par les équipes de recherche, les startups et les industriels, et résoudre les défis de l'écosystème quant à l’utilisation de ces données : faciliter l’identification des sources et les mettre en commun, prévoir le stockage européen des données, instaurer l’interopérabilité, éviter la multiplicité des législations nationales, garantir la valorisation de ces données par les autorités de régulation et d’évaluation, …

 

 

La protection des données est un autre exemple intéressant. L’Europe a été précurseur avec le RGPD, et a montré aux citoyens que la protection de leur données était importante. On a donc un cadre sécurisé pour développer l’innovation sur les données de santé et sur les solutions de santé. La Chine est en train de renforcer sa législation qui permet à l’Etat d’accéder à toutes les données  générées sur son territoire, sous couvert de sécurité nationale,  et ce sans aucune garantie de protection ni des données personnelles, ni de la propriété intellectuelle. L’Europe peut donc s’affirmer comme une région attractive et compétitive par rapport aux USA.

 

Pour y parvenir les institutions européennes doivent notamment harmoniser les approches, et les mutualiser. C’est à dire lutter contre une vision hétérogène de ses 27 membres et ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles des décennies passées pour les médicaments. L’Europe disposant de multiples approches propres à chaque pays, il est difficile, jusqu’ici, de produire et de diffuser à l’échelle,

 

En 2022, si nous voulons être attractifs et performants, nous devons aider nos startups européennes à éviter un parcours du combattant pour l’évaluation et l’accès au marché, pour se développer rapidement sur notre marché, puis s’étendre et partir aux Etats-Unis ou ailleurs. Car la réalité actuelle c’est que certains de nos entrepreneurs les plus ambitieux songent en premier lieu au marché outre-Atlantique, avant même de s’imposer en Europe. Les levées de fonds sont plus faciles et rapides aux US aussi parce que le marché est unifié, et le lancement d’une solution de santé se fait de facto dans un marché vaste et harmonisé. Nous devons leur garantir un espace sécurisé, interopérable et harmonisé.

 

A court terme l’Union européenne doit notamment opérer trois avancées :
  • Proposer une réglementation harmonisée sur l’ensemble de l’espace Européen pour garantir un déploiement simplifié et sécurisé des données de santé, qui sont le domaine d’innovation par excellence des startups
  • Garantir des marchés européens pour favoriser l’éclosions puis l’industrialisation de nos futurs champions sur notre territoire en premier lieu, avant de s’exporter.
  • Interconnecter les dizaines d’initiatives européennes autour de la donnée, à l’image du Health Data Hub en France. Celles-ci, aussi brillantes soient-elles, n’auront à moyen terme qu’un intérêt limité sans interopérabilité. Du moins si nous souhaitons garantir un marché suffisamment grand et solide pour rivaliser avec l’Est et l’Ouest.

Evaluer pour garantir une industrialisation fiable sur la durée

 

Evidemment aller vite et offrir un cadre clair et prévisible n’est qu’un atout court-termiste. En e-santé, plus qu’ailleurs, nous ne sommes pas sur un sprint, mais bien un marathon. Une challenge clé pour créer de la valeur en e-santé, est l’évaluation. Elle est indispensable pour garantir la sécurité et l’efficacité, que cela soit avec le marquage CE pour les dispositifs médicaux, et bien sûr essais cliniques pour les médicaments. Reste à trouver le bon modèle d’évaluation pour les produits et services de santé numérique.

 

Cette logique doit évidemment rester exigeante pour le bien des patients, sans devenir contre-productive et elle doit être pensée à l’échelle européenne. Une startup e-santé doit pouvoir, une fois sa technologie validée, déployer rapidement et non frapper à 27 portes d’agence d’évaluation. Le travail de recherche et développement est déjà risqué, il faut donc faciliter au maximum les étapes d’évaluation, et soutenir nos entrepreneurs avant cette mise sur le marché.

 

Cela ne veut pas dire qu’il faut rembourser tous les dispositifs et solutions, mais davantage formaliser et harmoniser les démarches et méthodologies, par exemple pour mesurer les impacts des solutions qui sont génératrices de gain d’efficience en santé. En bref, nous devons aller vers plus de co-construction et mettre en face des entrepreneurs de vraies ressources..

 

 

Co-investir dans le risque, avec les entrepreneurs

 

La reconquête numérique en santé en Europe est aussi question de multidisciplinarité. Le rapport entre le privé et le public, à l'échelle locale et encore plus à l'échelle européenne est perçu comme un rapport de force lié à des différences structurelles et culturelles. Pourtant ils sont interdépendants. Le rôle de la puissance publique est de faire en sorte que le cadre dans lequel nous évoluons est adapté. En parallèle les acteurs privés qu’ils s’agisse d’industriels, investisseurs ou entrepreneurs jouent un rôle d’initiateur. Les premiers ont besoins de solutions qui répondent aux problématiques rencontrées par les citoyens, les seconds de réglementations favorables et de capitaux pour penser et déployer celles-ci.

 

Or, aujourd’hui il est difficile d’obtenir du financement quand il y a du risque (réglementaire, mais pas uniquement). C'est ce qui freine l’élévation de notre écosystème de startups. Ces dernières prennent des risques, c’est dans leur nature et nous en avons bien besoin pour innover. Le constat est le même pour les industriels.  

 

Il y a toute une acculturation à penser autour de cette notion.

 

Aujourd’hui, nous avons une logique centrée autour de la subvention (crédits impôts recherches, etc.), mais aucune logique de co-investissement dans le risque national et Européen. Aux USA, la crise a mis en lumière le rôle de l’agence BARDA qui a investi massivement dans la recherche de vaccins, mais qui existait bien avant la crise et dont le rôle est le co-financement du risque avec les entreprises privées, que cela soit sur la R&D ou le déploiement industriel. Le co-financement du risque fait partie de ces axes forts qui permettront à l’Europe de trouver son identité et d’aboutir à une souveraineté sanitaire. Nous avons été capables de le faire en matière de défense, dans une logique régalienne, puisque la puissance publique ne se pose pas de question sur la vitalité de la défense. La création de la future agence HERA, et de son bras industriel Eu-FAB va dans le bon sens, il faut en accélérer la création et l’opérationnalité pour que des projets de startups ou de plus grandes entreprises soient boostés et ancrés en Europe.

 

Tout est un lié au risque. Plus le risque est important, plus les entreprises qui en découlent seront importantes.

 

Un cadre clair pour une prise de risque est ce qui nous distinguera des autres géographies et qui attirera davantage les talents capables de penser les solutions. Ces derniers doivent avoir confiance et s’assurer que la prise de risque est ancrée dans notre culture.

 

Miser sur la multidisciplinarité

 

Au-delà de la prise de risque, la consolidation d’une vision unifiée sur la donnée de santé sera à n’en pas douter clé pour redevenir une géographie centrale. Tous les Etats de l’Union Européenne ne sont évidemment pas engagés de la même façon et au même rythme. Avancer ensemble, c’est accepter de faire avec la différence des autres. Avec la Présidence de l’UE du premier semestre 2022, la France peut porter des avancées dans le domaine des données de santé.

 

  • Définir les règles du jeu et d'interopérabilité. C'est à dire se doter d’une structuration sécurisée, facile d'accès et créatrice de valeur.
  • Inclure le citoyen. L'aider à comprendre que l’enjeux n'est pas de tracer, mais bien de créer de la valeur pour lui, pour le soigner, au service du progrès, etc. Également de le rendre contributeur de ce nouveau système.
  • Aider les associations de patients. Ces acteurs incontournables ont compris, notamment pour les maladies rares, qu'il faut des registres, un suivi, pour gagner du temps et remporter la course contre la montre face à ces maladies. 
  • Réduire les inégalités. Le partage de données va permettre de rationaliser notre système de soin et ainsi aider chaque citoyen à profiter d'un système personnalisé donc plus juste.
  • Prévenir les prochaines crises. La donnée garantira une résilience au système de santé, grâce notamment à ses promesses prédictives

 

Ce qui est sûr, c’est que l’atteinte de ces objectifs ne se fera pas sans multidisciplinarité et prise de risque. Nous avons besoins d’institutions ouvertes, d’entrepreneurs ambitieux, d’industriels agiles et plus largement d’un écosystème résolument positif et au service d’une souveraineté à l’européenne.

 

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