Dans la tête de Thomas Ybert, co-fondateur et CEO de DNA Script

Pour le 6ème épisode de notre podcast #WhatHealth, Vincent Puren a échangé avec Thomas Ybert, co-fondateur et CEO de DNA Script.
En une phrase, « DNA script propose une solution pour rendre la biologie programmable ».
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Publié le 16 septembre 2022 à 09h28

 

Pour le 6ème épisode de notre podcast #WhatHealth, Vincent Puren a échangé avec Thomas Ybert, co-fondateur et CEO de DNA Script. 

En une phrase, « DNA script  propose une solution pour rendre la biologie programmable » Simple n’est-ce pas ? 

Evidemment, nous avons voulu en savoir davantage. Ainsi, pour mieux comprendre le projet DNA script, il faut mêler histoire, aventure humaine, hypercroissance, internationalisation, apprentissage. C’est de tout cela dont nous avons parlé avec Thomas et que nous partageons avec vous aujourd’hui.  

 Genèse du projet  

DNA script naît officiellement en mars 2014, de 3 co-fondateurs. Thomas Ybert, Sylvain Gariel et Xavier Godron. Avant cela, c’est d’abord une idée, un besoin, qui émerge dans l’esprit de Thomas.  

Thomas c’est un pur produit du système des ingénieurs. Après avoir validé Polytechnique et une thèse avec Sanofi, il travaille chez Total, à San Francisco, en tant que ‘Biotechnological Senior Scientist’. Au cours de ses années d’exercice, il prend conscience que son quotidien serait beaucoup plus simple et son travail efficace, s’il était en capacité de synthétiser non chimiquement et rapidement de l’ADN. L’idée étant de plus en plus présente dans son esprit, il décide alors de travailler lui-même sur cette innovation, qui révolutionnera la synthétisation de l’ADN. 

C’est par le biais de Total qu’il rencontre ses futurs associés, Sylvain et Xavier. 

Tous les trois, dès 2013, commencent à allouer une part importante de leur temps personnel à ce projet. D’abord, en plus de leur emploi jusqu’à ce qu’en juin 2014, Thomas décide de quitter Total, de rentrer en France pour se concentrer à 100% sur ce projet.  

C’est alors l’enchaînement de trois étapes cruciales qui marquent le lancement officiel de DNA script : un financement de 150.000€, une collaboration avec l’Institut Pasteur et le dépôt de brevets.  

Les missions de chacun ont été délimitées assez facilement, nous explique Thomas. En effet, malgré le fait que les trois sont issus d’un cursus assez similaire, il nous raconte qu’ils se complètent et partagent la même vision, point essentiel pour créer un tel projet. 

C’est ainsi que Thomas est devenu Chief Executive Officer, Xavier, Chief Technology Officer et Sylvain Chief Operating Officer. Une complémentarité qui les a menés jusqu’à aujourd’hui, avec 220 employés répartis entre les Etats-Unis et la France et un total de 275 millions d’euros levés. 

Créer de l’ADN, comment et pourquoi ? 

C’est la découverte de la structure en double hélice de l’ADN, récompensée par le prix Nobel décerné à James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins en 1962, qui donne le coup d’envoi de la maîtrise de cette molécule. Découverte que nous devons également à Rosalind Franklin, nous rappelle Thomas. 

A l’époque, tout le monde sait que cette structure est spéciale, mais cette découverte marque une nouvelle ère puisque l’on découvre que ce sont 4 nucléotides (ATCG) qui codent l’information génétique. D’ailleurs, pour arriver à cette conclusion, il a fallu synthétiser l’ADN. 

En effet, il fallait maîtriser la structure pour améliorer le savoir, la connaissance et par la suite, pour comprendre comment fonctionnent les virus, les maladies et ainsi bâtir les applications nécessaires pour soigner les patients. Prenons le cas de l’insuline par exemple, il a fallu reprogrammer le programme génétique d’une levure pour qu’elle produise de l’insuline et soigne les patients atteints de diabète.  

La maîtrise de l’ADN est fondamentale pour la science de la vie. 

Dès sa découverte, les scientifiques et ingénieurs du monde entier se sont lancés dans une course pour apprendre à le synthétiser et le séquencer. Ce n’est que bien plus tard que cette pratique a pris une dimension industrielle.  

C’est dans les années 2000, grâce à Fréderick Sanger, que l’on séquence le génome humain pour la première fois, puis en 2013 l’entreprise Illumina révolutionnera le séquençage grâce au NGS – next generation sequencing. Cette technologie avait alors réduit le coût de séquençage de l'ADN à 4 000 dollars vs 1 million de dollars en 2007[1]

Thomas nous confie que s’il devait revenir 10 ans en arrière pour investir dans une entreprise, il investirait dans Illumina, qui a totalement révolutionné le marché et la connaissance, selon lui. 

De leur côté, les trois fondateurs de DNA Script, souhaitaient à leur tour inventer une technologie disruptive, accessible à tous, de façon qualitative. C’est ainsi que ‘Syntax’ l’imprimante programmable en 15 minutes est née. 

En pratique, comment cela fonctionne ?  

De la même façon qu’une imprimante papier, il faut insérer une cartouche, ici d’enzymes, nucléotides et des tampons de lavage, puis insérer, sur un rack, les plaques de synthèse, qui se composent de 96 petits tubes. 

En parallèle, l’application reliée à l’imprimante permet de générer les séquences désirées. 

Thomas nous explique que leur proposition de valeur repose sur deux grands piliers : 

  • Maîtriser totalement sa chaîne de valeur. Ne plus dépendre d’un tiers pour arriver à son résultat. 

  • ‘Turner on time’ : une réduction considérable du temps d’accès à l’ADN. En effet, sans l’imprimante, le processus implique beaucoup d’acteurs, sans compter le temps d’envoi, de traitement, de réception, qui peut prendre de quelques jours à quelques semaines. Ici, avec SYNTAX, le résultat est assuré en quelques heures. 

Avec SYNTAX, c’est l’aspect life science research qui est au cœur du processus, que ce soit autour de projets concrets ou bien simplement dans l’optique de faire évoluer les connaissances. 

Parallèlement, l’objectif est de jouer un rôle majeur dans la médecine personnalisée de précision, comme le vaccin ARN par exemple. SYNTAX doit pouvoir aider des oncologues à analyser la tumeur d’un patient, par l’analyse spécifique de sa structure et son séquençage, pour ensuite pouvoir personnaliser le vaccin en fonction de la tumeur de ce patient. 

« Il faut penser du point de vue du patient » nous rappelle Thomas. « C’est très compliqué pour lui de se déplacer, de rester plusieurs heures à l’hôpital et laisser passer les semaines en attendant les résultats. Cette innovation doit permettre de gagner du temps et donc d’améliorer le parcours de soin. » 

Par ailleurs, les trois fondateurs ont d’autres grandes ambitions pour leur technologie. 

Une innovation en santé, oui, mais pas que. 

Bien que la réussite soit au rendez-vous jusqu’ici, Thomas nous confie que le but final est loin d’être atteint. La phase de ‘technology to product’ est bien avancée, il faut maintenant passer à la phase ‘product to revenue’. 

Tout le pôle R&D est aujourd’hui localisé en France, grande fierté pour Thomas, qui a longtemps du justifier ce choix et qui aujourd’hui est loin de le regretter. Par ailleurs, une partie du développement produit et de la fabrication, liés aux réactifs notamment, sont également localisés en France. 

Le reste, comme la partie commerciale, ainsi que l’autres partie de la fabrication sont hebergés aux Etats-Unis. Thomas nous explique que c’est son associé, Sylvain, qui s’est occupé du développement de cela, mais qu’aujourd’hui, c’est lui-même qui vit là-bas, avec sa famille. 

C’est un enjeu de taille, non seulement personnel, mais également professionnel. Décalage horaire, temps de vol, différence de culture. Les trois associés s’efforcent malgré tout de créer du lien entre les collaborateurs. « Pas simple quand nous savons que DNA script c’est 7 ans pour arriver à 100 personnes et 1 année supplémentaire pour arriver à 220 personnes », dit Thomas Ybert.  

Thomas nous confie que ce sujet d’hypercroissance est le un challenge à gérer en tant qu’entrepreneur. Ils ont connu des recrutements ratés, non pas uniquement pour incompétence, mais quelquefois (quelquefois) aussi par incompatibilité avec la culture d’entreprise. Cela a créé des moments difficiles, tant pour les associés que pour certaines recrues. Ils ont alors appris de leurs erreurs et maintenant, chaque recrutement est finalement supervisé par un des associés, ce qui est fondamental pour le bon fonctionnement de l’entreprise. 

Cependant, l’internationalisation et l’hypercroissance n’ont pas apporté que des difficultés. En effet, les Etats-Unis sont aujourd’hui le marché le plus important de DNA script. 

Thomas nous parle par exemple de leur collaboration avec Moderna, projet financé notamment par La Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA[2]

Ce projet consiste à créer un conteneur qui serait déposé dans des zones où des virus/infections sont détectés. Ce même conteneur recevrait les échantillons, les séquençages, le génome du virus pour qu’il puisse ensuite créer jusqu’à 500 doses de vaccin en 24 à 48 h. 

Dans ce processus, DNA script collecte les données qui vont être transmises, les transforme en premier fragment d’ADN qui seront ensuite assemblés pour être les premiers gènes du vaccin. 

De l’autre côté de l’Atlantique, en France, Thomas et ses associés ont également beaucoup travaillé avec la DGA, l’armée française, pour développer la première version des kits qui ont permis et permettent encore de faire les tests PCR (qui permettent de détecter différents virus, pas uniquement le SarsCOVID). 

Le terrain de jeu de DNA script est très large, et cela est dû à leur stratégie de business model. 

Contrairement à certains de leurs concurrents, ils ne vendent pas seulement le service, mais bien la technologie. En effet, l’imprimante SYNTAX ainsi que la technologie sont cédées avec les cartouches qui contiennent justement les enzymes et nucléotides, cœur de métier de DNA script. En revanche, les trois associés ont bien compris l’enjeu de leur métier, c’est pourquoi dans leurs équipes, une personne est en charge d’échanger continuellement avec toutes les entités régulatrices. Par ailleurs, la technologie n’est pas vendue au premier venu. Les profils des acheteurs et leurs objectifs sont étudiés en amont. Dans le futur, Thomas nous confie qu’ils aimeraient également pouvoir garder un œil sur ce qui est synthétisé, car il sait à quel point cela peut être détourné pour de très mauvais usages. 

Lorsque Vincent interroge Thomas sur la suite, ce qu’il espère comme évolution, Thomas nous parle d’étendre la technologie à d’autres secteurs. Que cette innovation ne serve pas seulement à révolutionner le secteur de la santé, mais aussi à apporter des solutions à des problèmes majeurs comme la pauvreté ou l’urgence climatique.  

Il nous confie qu’il y a encore un infini de possible à réaliser pour DNA script. Il nous raconte d’ailleurs qu’il apprend chaque jour de nouvelles choses, et que cela n’a pas de prix pour le primo-entrepreneur qu’il est. 

Thomas nous parle également d’humain. Pour lui, c’est important de faire grandir l’entreprise, non seulement pour la science et la technologie, mais également pour toutes les personnes qui ont contribué à faire de DNA script ce qu’elle est aujourd’hui.  

Cet échange passionnant avec Thomas nous fait faire un saut du côté vers la biotech cette fois-ci. Cependant, au fil des échanges, nous prenons conscience que peu importe le secteur, les enjeux d’un entrepreneur restent les mêmes : recrutement, internationalisation, levée de fonds, régulation,… 

Thomas nous confie d’ailleurs qu’une des règles à s’appliquer, dont il a pris conscience avec le recul, est que l’entrepreneur, dès le début, doit se mettre en condition de succès. Il faut imaginer que les dépenses, juridiques par exemple, seront récompensées par la suite et ont un réel impact sur la vie de l’entreprise et ce peu importe le domaine d’expertise. 

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[1] https://www.illumina.com/

[2] agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire