29 janv. 2025

Note d'expertise de Ségolène Aymé, généticienne médicale et référence mondiale pour les maladies rares, fondatrice d'Orphanet

Articles

Quelle est votre perspective sur l’usage des données de santé ?

Depuis plus de cinq décennies, j’ai été témoin et actrice des évolutions majeures dans le domaine des données en santé. Mes travaux ont toujours été animés par la conviction que des données de qualité sont essentielles pour la prise de décision et la recherche en général, en particulier celle sur les maladies rares, un domaine qu’Orphanet a puissamment contribué à faire émerger.

Lorsque j'ai commencé ma carrière dans les années 1970, le paysage de la collecte et de l'organisation des données était épars et peu structuré, limité aux données d’enquêtes de recherche, faute de technologie accessible pour numériser les données de vie réelle. De plus il n’existait pas de standardisation des nomenclatures ce qui constituait un obstacle majeur à la recherche collaborative.

L’émergence de l’informatique médicale dans les années 1980 a permis des progrès. Les dossiers médicaux sont codés par la CIM, la classification internationale des maladies de l’OMS. La CIM recensait une centaine de maladies au XIX siècle, plusieurs milliers aujourd’hui. Toutefois, les maladies génétiques et les maladies rares non génétiques étaient largement absentes de cette classification.  La CIM 11 en usage actuellement n’en contient que 450.  Orphanet a contribué à en introduire 4500 autres dans la CIM 12 adoptée par l’OMS, mais pas encore utilisée malheureusement car changer de version est couteux pour les acteurs publics.

Parallèlement en 1966, Victor McKusick a proposé le catalogue Mendelian Inheritance in Man (OMIM) des gènes humains et des maladies génétiques, une nomenclature très utilisée en recherche, mais ne permettant pas de bien coder les maladies car certaines maladies sont causées par de multiples gènes et certains gènes peuvent être à l’origine de plusieurs maladies.

Forte d’une longue expérience en épidémiologie génétique et en génétique médicale j’ai fondé Orphanet en 1997, une base de données relationnelle, exhaustive et polyhiérarchique qui prend en compte différentes perspectives et réconcilie les différentes nomenclatures existantes. Aujourd’hui, Orphanet répertorie plus de 11 000 maladies rares et propose des classifications adaptées aux besoins spécifiques de la recherche, des soins, de la santé publique et de l’industrie pharmaceutique. Les codes Orpha permettent de coder les maladies avec un zoom arrière (grandes catégories utiles pour la gestion du système de santé) ou un zoom avant (niveau moléculaire indispensable pour la R&D biomédicale).

Quels sont les défis pour l’usage des données de santé ?

L’informatique médicale a mis longtemps avant d’être utilisée, faute de sensibilisation des médecins et des décideurs, mais surtout en raison de la lourdeur des équipements, du cout des technologies et du manque de convivialité des modes d’accès aux données.

Les collections de données qui ont été constituées ont présenté des problèmes de qualité et d’interopérabilité des données. Les bases de données étaient disparates et mal structurées, limitant leur utilité. En parallèle, les contraintes imposées par les règlements nationaux et européens, bien que justifiées pour protéger les données personnelles nominatives, ont compliqué l’utilisation des données pour la recherche, alors que celles-ci sont toujours pseudonymisées. Est-il justifié de protéger à l’extrème de telles données alors que le risque de réidentification et extrêmement faible et le dommage potentiel causé de faible importance ? Cette position, prévalente en Europe mais poussée à l’extrême en France, ralentit la recherche, ou même l’entrave, alors même qu’il s’agit de projets souhaitables pour la santé publique, l’amélioration des soin et l’innovation. Cela est préjudiciable à la recherche clinique en général, surtout à la recherche clinique industrielle.

Un exemple emblématique concerne les données génétiques, souvent considérées comme indirectement identifiables, ce qui empêche leur numérisation systématique dans les dossiers médicaux, alors même que ce sont des informations clés pour le soin comme pour la recherche. Les médecins contournent ces restrictions en scannant les résultats papier dont ils ont besoin pour le soin, une pratique inefficace qui compromet à la fois l’utilité et la sécurité des données.

Comment voyez-vous l’avenir des données en santé

Nous disposons aujourd’hui des outils technologiques et des infrastructures pour collecter et analyser des données de qualité, grâce à la construction des entrepôts de santé et à l’existence de cohortes, registres et bases données pour la recherche. Cependant, ce potentiel reste sous-exploité faute d’harmonisation réglementaire, d’investissements suffisants, de formation des opérateurs, et aussi en raison de résistance psychologique. Il faut protéger les données primaires de santé mais libérer raisonnablement les données secondaires pseudonymisées. Il n’y a aucune expérience connue de dommage collectif ou individuel issu de l’usage de données peudonymisées. En revanche, le bénéfice de l’utilisation de ces données peut être important pour la collectivité (ex. pertinence des soins, prévention des scandales sanitaires, évaluation des innovations) et pour l’individu (ex. développement de nouveaux traitements) et avoir des impacts sur les individus eux-mêmes. La balance bénéfice/risque est donc très en faveur des bénéfices. Reste à lever les freins pour aller vers un guichet unique. Il faut cesser de ne communiquer que sur les risques et non sur les bénéfices, alors que les citoyens bien informés sont en faveur de l’usage de leurs données pour la recherche. Un audit des entraves à la recherche dans le système actuel serait utile pour convaincre les réticents.

L’espace européen des données de santé constitue une opportunité majeure pour nous e France car nous avons déjà structuré le nœud national recommandé. C’est le Health Data Hub.

Ensemble, nous pouvons construire un avenir où les données serviront à sauver des vies et à améliorer la santé publique. Les citoyens sont largement en faveur de cette approche.

image (17).png

Santé / médico-social / social santé numérique / technologie
Articles